
Extrait d'un interview de Maria LEO, psychologue au service d’adoption internationale Amarna (Bruxelles), publié dans le Dossier "Les (premiers) liens parents/enfant " in L'Observatoire n°67/2010 © par Ch. Lucassen (trouvé chez zench)
Lien dans un contexte d’adoption internationale
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En quoi l'abandon fragilise-t-il l'enfant dans la création de liens avec ses parents adoptifs?
L'abandon provoque une rupture, un choc, autant d'émotions qui vont s'inscrire psychiquement, mais aussi neurobiologiquement et conditionner le développement de l'enfant. Il aura ainsi tendance à développer une vision du monde négative, peu propice à une structuration de personnalité équilibrée.
Pour l'enfant, un abandon, c'est un premier échec. Il n'avait qu'une mission après celle de venir au monde: attirer suffisamment l'attention sur lui pour que la personne censée le protéger le protège effectivement. Après cet échec, il devient difficile pour lui d'avoir confiance en l'autre et surtout en lui-même.
Pour se protéger de la répétition de cette expérience traumatique, l'enfant abandonné met en place une forme d'autodéfense inconsciente, qui le pousse à tout mettre en œuvre pour éviter une autre rupture en fuyant tout nouvel attachement. L'adoption pose ainsi dans la plupart des cas des défis d'attachement entre l'enfant et ses nouveaux parents - et non des troubles à proprement parler, qui sont plus rares. Il faut noter que les difficultés viennent parfois des deux partenaires: aux carences particulières de l'enfant s'ajoutent des fragilités parentales.
Adopter un enfant, c'est prendre le risque de l'aider à surmonter le choc de l'abandon en lui proposant des liens d'attachement secures, sur lesquels il pourra s'appuyer pour se construire.
La blessure d'abandon n'est donc pas irréversible?
Chaque enfant arrive dans sa famille adoptive avec des ressources qu'il faut pouvoir évaluer, pour tenter de répondre à ses carences de manière appropriée. On ne connaît jamais la profondeur de la blessure, elle peut avoir été aggravée par des facteurs comme la prématurité, l'alcoolémie ou la toxicomanie fœtale, elle peut être plus ou moins profonde suivant ce que l'enfant a vécu et ce qu'il a pu mettre en place pour y pallier.
Mais on peut améliorer les compétences parentales et professionnelles, on peut faire en sorte de mieux répondre. Il est certain que, grâce à l'aide des parents et des professionnels, un enfant abandonné pourra construire des mécanismes pour compenser la blessure d'abandon. Si le choc de l'abandon a effectivement un impact sur les structures du cerveau, la maturation de celui-ci prend plusieurs années et dépend non seulement de facteurs biologiques et génétiques, mais également d'autres éléments comme l'alimentation, l'expérience, les stimulations. Le Dr Chicoine du Québec1 explique très bien qu'avant l'âge de trois ans, tous les neurones et synapses ne sont pas encore construits: il y a donc encore une grande marge de manœuvre avant cet âge (ce qui ne veut pas dire qu'il n'y en a plus après!). Indépendamment du neurobiologique, sur le plan psychologique, il y a un éventail gigantesque d'outils d'amélioration des capacités d'attachement de tout être humain: il existe des techniques et des conseils à donner, des environnements propices à mettre en place.
Je ne sais pas si on guérit totalement, mais en tout cas, on cicatrise, plus ou moins vite, plus ou moins bien. La patience et la persévérance sont de mise pour les parents adoptifs.
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J'aime bien la notion de "défis d'attachement" (plutôt que troubles, plus graves, plus rares) et la responsabilité partagée ("carences de l'enfant", "fragilités parentales").
Et la fin de l'extrait...